Les irréductibles gaulois
L’aventure Caminade a commencé par l’idée simple de fabriquer mon cadre de VTT suspendu pour participer à la Transvésubienne ( 4eme en 2010 ) : c’était la naissance du One4All en tubes acier mécano-soudés. D’abord soudo-brasé chez Cyfac, j’étais ensuite allé me former à cette technique en Angleterre pour internaliser le process, mais l’arrivée de Mika nous a permis de passer directement à la soudure TIG, ouvrant ainsi la porte d’une ultime version en titane. La cinématique anti-pompage basée sur un point neutre de l’effet de chaîne avait d’ailleurs été brevetée : une fierté sur le moment, mais une erreur de vision si le but est d’empêcher les autres de faire. L’homme a tout breveté sauf sa connerie....
Caminade fabrique 5 à 6 cadres soudés par mois, du tandem au tout-suspendu en passant par notre fer de lance : le gravel. Cette ligne d'assemblage emploie 2 personnes à temps plein car il faut aussi acheter puis monter les pièces pour équiper ces vélos coutant entre 5 et 8000€. Même avec 100k€ d’investissement, fabriquer un cadre de vélo rigide sur mesure mécano-soudé en titane prend plus de 20h ; et c'est pas plus rapide en acier ou en alu... c’est la raison pour laquelle la plupart de marques font fabriquer en Asie.
Pourtant il existait une méthode plus rapide, utilisée par Look dans les années 80 : les raccords collés. C’est la technique, que nous avons remise au goût du jour il y a 4 ans, avec des manchons en composite de carbone sur des tubes titane, nous permettant de diviser par 4 le temps de travail tout en continuant à faire du sur mesure. Pour cela, nous avons dû investir environ 100k€ dans des moules d’où sortent 6 AllRoad tous les mois, dont notre best-seller le AllRoad à boîte de vitesses Pinion, fabriqué et assemblé par une seule personne.
On peut toujours faire mieux, surtout quand le but final est de montrer qu’en France on sait encore fabriquer des vélos et aider ainsi au reclassement de 50% des travailleurs de l’automobile qui, sans ça, resteront sur la paille. Ce n'est pas moi qui le dit, mais le PTEF du ShiftProject. Leur raisonnement est basé sur 2 idées simples :
- Une partie des Français n'auront bientôt plus les moyens d’alimenter leur voiture thermique avec un pétrole qui devient de plus en plus cher, car de plus en plus rare. Certes, on pourrait remettre en route notre esprit colonisateur et se passer d’intermédiaires pour baisser les prix... mais la guerre, c'est mal !
- Le moteur de la voiture électrique étant plus facile a fabriquer, nous allons perdre pas mal d'emplois de motoristes : et je suis bien placé pour le savoir, j'en suis un.
Mais nous pouvons aussi décider qu’une voiture d’1 tonne avec 5 places ( dont 4 vides ) c’est surdimensionner pour beaucoup de nos trajets quotidiens et opter pour le vélo, qui plus est... fabriqué en France. Certains appelleront ça de la décroissance, d'autres de la frugalité, j'aime bien le terme de convivialité cher à Ivan Illich, dont la théorie de la vitesse généralisée des transports ( qui date de mon année de naissance ) démontre la supériorité du vélo.
Le temps gagner à aller plus vite est en fait perdu à travailler plus pour payer le coût social de cette vitesse : infrasctructures, accidentologie, régulation... et complexité de l'objet technique " voiture " comparativement au vélo.
Donc, quand Protoform a contacté le bureau d’étude de Caminade, après une chute de 40% de leur carnet de commandes de pièces de voiture injectées, nous avons sauté sur l’occasion pour créer avec eux et pour Ultima, un outil de production de cadre, fourche, potence et tige de selle en composite de carbone recylé.
Protoform, basé à Châlon sur Saône, a une maîtrise totale de l’outil de production : à partir d’un fichier 3D " injectable " fournit par le BE à 2 têtes de Caminade, ils assurent la conception et l’usinage du moule, l’injection de mise au point, la mini-série de validation et bien sûr la première série de 1400 pièces, destinée à assurer les besoins d’Ultima durant la deuxième moitié de l’année 2022. L’activité vélo est en passe à court terme de dépasser les 50% de leur CA permettant de sauver les emplois … et cerise sur le gâteau, comme ils sont les premiers acteurs dans ce domaine, d’en créer d’autres.
Cet outil de production " châssis " n’aura coûté que le triple de la somme des 2 outils de production actuellement en fonctionnement chez Caminade et permettra d’alimenter les 15 salariés d’Ultima pour fabriquer 5000 vélos par an. Le fonctionnement LEAN permettrait au site de St Priest de doubler facilement la production, voir même de déployer d'autres unités, si la demande de vélo et plus particulièrement de vélos fabriqués en France continue de croître.
Le leitmotiv d’Ultima est de faire le 1er vélo 100% Français : nous y sommes presque ! En s’appuyant sur les acteurs historiques du cycle en France et les jeunes pousses, Caminade a pû aider Ultima à sourcer 90% des composants fabriqués en France et moins de 1% hors EU. C’est déjà un exploit, qui va dès l’année prochaine s’améliorer encore au vu de la volonté de changement qui anime certains industriels de l’automobile : Valéo en tête, avec une motorisation incluant une boîte de vitesses automatique. Mais bientôt des freins et des éclairages MIF viendront compléter :
- les roues Mavic qui par là même officialise son virage vers l'urbain,
- le guidon Baramind une évolution de celui que j'utilisais en VTT,
- les pneus Hutchinson,
- les pédales Look ( inventeur de la pédale automatique ),
- les plateaux Stronglight,
- le tendeur de chaîne Novaride spécialement developpé pour le moteur Valeo,
- la fourche cargo Joker qui permet de transformer facilement n'importe quel vélo en mini-cargo
- ... et bien sur l'ensemble cadre/fourche/potence/tige de selle conçu par Caminade.
Une fois réuni tout ce petit monde spécialiste du cycle, il ne manquait que la création d’une micro-factory d’assemblage de composants locaux : la première a vu le jour à St Priest et porte donc les couleurs d’Ultima, qui propose sur la base d’une même plateforme : un vélo urbain, un mini-cargo, un trekking et un vélo dédié au portage d’enfant.
A n'en pas douter, nous devrions voir apparaître dans chaque département ce genre de micro-factory, créatrice de beaucoup plus d’emplois que celle qui se contente d’assembler des pièces venues de très loin, où l’on ne respecte ni la part travail, ni l’aspect pollution du transport induit.